Qui suis-je, en un texte.

16 novembre 2014

Semblants faux des défi le.


Il a regardé plusieurs fois si elle était arrivée. Il l'a vu courir derrière la grande fenêtre embuée. Sa fourchette reste plantée dans le magret rosé.
Il fait semblant d'écouter sa compagne pendant qu'il la suit des yeux à travers le restaurant. Depuis l'entrée, jusqu'à sa table, il s'est presque arrêté de respirer. Il répond à la question posée pour entretenir la conversation. Elle ne s'est pas aperçue qu'une autre femme l'avait accaparé. Elle ne s'en ait jamais douté d'ailleurs. Il est doué pour dissimuler. Elle n'est pas très loin, dans son champ de vision. Ce périmètre visuel qui lui donne envie de crier. Les boutons de son manteau se défont un à un. Lentement. Un peu trop, à son goût. Il est certain qu'elle le fait exprès. Ses doigts délicats l'ouvre comme le rideau d'un théâtre, découvrant une magnifique pièce faite de tissu d'un rouge profond. Sa mâchoire se sert. Il mord légèrement les dents de son couvert. Sa robe souligne les courbes qui l'ont fait tant de fois rêver. S'en est trop pour lui, il boit une longue gorgée de vin millésimé. Son repas est bien entamé, il tend l'oreille mais n'entend rien. Soudain, elle rit. D'un rire léger, un peu étouffé et puis, elle rit plus fort. On dirait qu'elle ne joue pas. Un petit pincement au cœur. Ça lui fait bizarre de ne pas être celui qui l'a fait rire. Elle attrape la main de son compagnon. Et c'est là qu'il la voit. Discrète, délicate et scintillante. Cet objet qu'il trouve ridicule. Cet anneau qu'il n'a jamais eu envie d'acheter. Sauf une fois. Il est là, il l'encercle, la retenant prisonnière. Il le voit comme un ennemi juré. Il le devient instantanément, dans cette salle bondée. Ils passent au dessert. Puis, deux cafés, pour patienter. Il ne sait plus ce qu'on lui dit. Les paroles prononcées depuis la chaise qui lui fait face sont codées. Il ne les comprend plus. Il ne veut plus les comprendre depuis vingt trois minutes. Pourtant, il va bien falloir puisqu'il va rentrer avec son invitée dans son bel appartement haussmannien pour l'aimer ou du moins, pour faire semblant de l'aimer. Tout à l'heure, il l’emmènera dans sa chambre et n'allumera pas la lumière de chevet. Il lui enlèvera ses vêtements comme si c'était vital pour lui. Il lui murmura qu'elle est la plus belle femme qu'il ait jamais rencontré mais il mentira. Il pensera à celle qui va lui échapper à cause de cette stupide bague. A cause d'un stupide mutisme qui le rend fou. Tellement fou, à la laisser en épouser un autre. Alors, il fera comme si c'était elle, sous les draps. Mais il sait que désormais, il fera tout. Tout pour que cette bague solitaire ne trouve pas l'anneau qui lui ferait perdre la seule femme dont le pouvoir est de créer ce feu incandescent dans sa poitrine. Ils se lèvent. Il remet son manteau d'hiver. C'est à ce moment, et uniquement là, qu'elle s'autorise à le regarder. Ses yeux sont rieurs. Les siens sont déterminés. Il les descend sur sa main, posée sur la table. Il les remonte jusqu'à son visage. Sa bouche, ces lèvres inaccessibles. Ses yeux, à nouveau. Son message est clair. Il sort, accompagné de son amante. Un frisson la parcourt. Du bas du dos jusqu'à sa nuque. Passant du froid au chaud, elle sait qu'il la regarde une dernière fois en quittant l'endroit. Prise d'un tic nerveux, elle joue avec sa bague. De dehors, on pourrait croire que ça la démange.
Elle boit une longue gorgée de vin millésimé.