Qui suis-je, en un texte.

5 septembre 2014

L'attraction de lèvres les.



Mon tiroir, celui de la salle de bain. Je me demande s'il est encore vide. S'il se sent délaissé depuis que ses occupants se sont fait la malle. A t-il des locataires ou, pire, un propriétaire ?

Je regarde les lettres imprimées qui forment mon nom sur le papier glacé. Ma main tremble un peu plus que d'habitude. Je le glisse dans mon sac à main. Ça me fera un souvenir. Je m'installe devant la glace et commence à maquiller l'angoisse qui se voit sur mon visage. Je dois m'appliquer pour faire mon trait d'eye-liner. Un trait franc comme je peux. L’œil gauche n'est pas symétrique comme chaque matin. J'essaie d'arranger ma maladresse en choisissant un rouge foncé pour mes lèvres. Je crois ruser en voulant attirer le regard ailleurs mais je sais que je vais être détaillée. Les ampoules qui habillent ce genre de miroir me donnent bonne mine. J'espère que l'éclairage en fera autant sinon j'aurais l'air d'un lapin apeuré qui surgit devant les phares d'une voiture. A la différence que je n'arriverais pas par surprise. Je regarde mon téléphone. Deux messages non lus. Deux messages d'encouragements de mes amis. Ça me fait chaud au cœur de savoir qu'ils sont déjà installés et qu'ils attendent mon entrée. Je les imagine à une table pas trop près ni trop loin. Je me demande si les personnes que j'aime le plus seront présentes. Je n'ai pas vraiment fait de publicité pour cet événement parce que je ne suis pas familière avec ce genre de représentation. Soudain, on frappe à ma porte. Elle s'ouvre sur un homme qui me dit que le groupe à bientôt finit. C'est bientôt mon tour. Ma gorge se serre. Je bois un peu d'eau et me dirige vers la scène. Je retrouve le musicien qui va m'accompagner. Le chanteur vient de terminer sa chanson. Il sort sous des applaudissements et se dirige vers moi. Il m'adresse un grand sourire encourageant car il sait que c'est une première pour moi. Je n'arrive pas à le lui rendre. J'ai grimacé un sourire. Le gérant prend le micro et prononce mon prénom. Comme lors de la rentrée au primaire, j'entends qu'on m'appelle, j'ai un moment de doute mais je sais que c'est moi. Alors je m'avance et entre dans la lumière douce et pas assez tamisée à mon goût. Je ne pense qu'à une seule chose, mes joues rouges. Je sens qu'elles brûlent avant d'avoir émit un son. J'ai peur, la boule de tout à l'heure s'est dédoublée et sa jumelle a élu domicile dans mon estomac. Une fois de plus, je grimace un sourire. Qu'est-ce que je fous là ? J'ai envie de rentrer chez moi et de faire mon concert dans ma chambre. Mon cerveau a le bon sens d'être encore un minimum conscient. Je saisis le micro, fais un signe à mon pianiste pour la soirée et la musique démarre. Le bar écoute plus ou moins mes paroles anglaises. Le brouhaha ne me dérange pas, ça me rassure presque. Ce n'est qu'au milieu de la deuxième chanson que je me détends et ose regarder les gens dans les yeux. Mes amis prennent des photos et consomment. Les inconnus ne font que consommer. Ma gorge s'est desserrée et je suis de plus en plus à l'aise. J'ai un peu chaud mais je crois que le rose sur mon visage a disparu. Je me sens bien et même si ce n'est pas une scène comme j'en ai toujours rêvé, c'est un début. Mes 30 minutes arrivent à terme. Je prends la guitare qui attendait sagement un peu plus loin pour ma dernière chanson. Pourvu que je souvienne de tous les accords et que je ne trompe pas. J'ai un peu la pression mais je me lance. Tout va bien, je relève la tête. J'en aperçois une au fond que je connais bien. Mon cœur s'accélère et ma rythmique s’emballe tout autant. Je dois halluciner. Il n'est pas au fond du bar, juché sur un tabouret au comptoir. Non, ce n'est pas possible. Il ne pouvait pas savoir. Je fais semblant de ne pas être troublée. Je me ressaisis et chante le refrain. Je regarde à nouveau vers lui. Il a un sourire en coin. Je parie qu'il jubile. Ce n'est pas normal, il ne devrait pas être au fond de la pièce. Je vais échapper une fausse note ou avoir le tremolo désagréable par sa faute. Je termine ma chanson mais je ne suis pas sûre de l'avoir bien faite. J'imagine que ce n'était pas dramatique quand j'entends les applaudissements pas si hésitants qu'au début. Je souris aux gens et encore plus à mes amis qui font le plus de bruit parmi toute la salle. J'en adresse un autre à la fille qui va jouer après. Elle a la même tête que moi, il y a 30 minutes. Je retourne dans ma petite loge. Je suis sur un nuage. Je l'ai fais. J'ai réussi à surmonter ma peur de chanter en publique. J'ai aimé ça, c'était trop court. J'espère que le gérant va me proposer de revenir. Je m'assois devant la glace. J'ai le visage détendu. Je tente de me rappeler de ces dernières minutes sur scène quand on frappe à la porte. Voyant qu'elle ne s'ouvre pas, je réponds d'entrer. C'est dans le miroir que je vois une silhouette grande et mince avancer et refermer la porte. J'ai soudain le souffle court, sans avoir couru. Il ne dit rien. Je l'observe alors qu'il est derrière moi. Je ne dis rien non plus. Je me lève avec toute l'assurance dont peuvent m'apporter mes jambes devenues cotonneuses. Mes talons résonnent cinq fois. Je n'avais pas rêvé, il est bien venu. Je ne sais pas comment il a su. Je ne sais pas comment il a fait pour se glisser dans ma loge. Ça m'est égal maintenant. Je me penche vers lui. Ma main droite passe entre son bras gauche et sa hanche. Le clac de la serrure qui se ferme. Je ne veux que personne s'insinue dans ce moment suspendu. Il a fait le déplacement juste pour m'entendre. Sa façon à lui de faire partie de ma vie. Je vois ses yeux de près. Il voit que les miens brillent d'une vive émotion. Les siens me transpercent de toutes part. Il n'a pas le droit mais il le fait. Il brise la règle et met le feu à notre contrat implicite. Un baiser délicat qui fait bouillir le sang en une fraction de seconde. Les années accourent et le transforme en un baiser fougueux. Mon corps vibre tout entier, rien qu'au contact de ses lèvres. Il m'attire contre lui et passe ses mains dans mes cheveux. Le contact de ses doigts dans ma nuque me fait frissonner. Mes mains puis mes ongles se serrent sur le bas de son dos. Je le repousse en arrière et m'agrippe à son cou. Je n'ai pas envie de reprendre mon souffle. Il ne me le permet pas. Cette fougue s'arrête quand l'arrêt de la musique étouffée nous fait reprendre conscience. J'ai le regard embrumé. Nous respirons à pleins poumons, la bouche entrouverte en détaillant celle de l'autre. Il va devoir s'en aller, c'est le jeu. Je lui dis les mots que je ne lui dirais jamais, avec mes yeux.