J'avais rendez-vous avec le destin, le 16 du mois dernier, mais je ne le savais
pas encore. Après être sortie de l'endroit où j'avais passé quelques
jours, pour me changer les idées, j'avais souhaité faire un détour par
la rue adjacente à celle que j'empruntais d'habitude. Je ne sais pas ce
qui m'a poussé à le faire, j'ai ressenti le besoin de tourner à gauche
un peu avant le passage piéton, plutôt que de continuer tout droit. Il y
avait un peu de vent. Je n'arrêtais pas de retenir ma mèche avec ma
main et de la repousser derrière mon oreille mais elle était trop courte
pour tenir alors, elle glissait inévitablement contre mon visage. Je
devais avoir une mine fatiguée et au final, quand je m'aperçus dans une
vitrine, je trouvais que c'était gentil de la part de l'air de jouer
avec mes cheveux. Je remontais maintenant une nouvelle rue, connue que
de nom. Quand on y pense, je passais tous les jours de l'autre côté. Si
peu de pas me séparaient de ce qui allait être un réveil d'anciens
sentiments. J'étais fascinée par la beauté des arbres qui vacillaient
entre l'éclosion, pas si lointaine, et la décomposition prochaine des
fleurs blanches et roses. Certaines feuilles poussaient entre elles.
C'était le signal pour leur faire comprendre que c'en était bientôt fini
pour elles. Qu'il n'y avait rien à faire, qu'elles étaient condamnées à
n'embellir les arbres que pour quelques jours. C'est tellement triste
au fond, que certaines beautés soient éphémères. C'est en me demandant
ce que devenaient ces pétales qui finissaient par s'envoler ou par
tomber, que je vis quelqu'un que je connaissais. D'apparence, je savais à
quoi il ressemblait. Cette fois-ci, j'avais l'impression que c'était la
première fois que je le voyais. En réalité, j'aurai pu le reconnaître
de dos. Ce n'est pas une personne qu'on perd dans la foule. Je me suis
subitement arrêtée entre deux étalages d'un épicier. Perdue dans mes
pensées, je me prenais un festival de souvenirs tous plus doux les uns
que les autres mais la fin, plutôt floue, freina les fantômes du passé.
Il était à quelques mètres. De ridicules centimètres qui marquaient la
frontière entre le fantastique et le réel. Oui, j'avais rêvé tant de
fois de le voir comme je le voyais maintenant. De mes propres yeux de
femme, belle, et possédant une assurance qui ne le ferait pas s'en aller
vers une autre, aux traits toujours plus fins et plus réguliers que les
miens. Il se retourna de moitié. Je me perdis dans ses yeux
d'autrefois. Ceux qui donnaient l'impression que le temps n'existait
plus, ou que nous errions dans une autre dimension. Mais nous étions
dans le présent. Je sentais une chaleur fiévreuse envahir tout mon
corps. Le vent continuait de battre sur ma peau ainsi que dans mes cheveux, qui me
donnaient l'allure d'une fille qu'on trouve par hasard dans la rue. Il
paru troublé. Je l'étais tout autant. La surprise m'avait presque
tétanisé. C'est l'épicier qui sortait sur son trottoir qui me fit me
pousser tout en ne le lâchant pas des yeux. J'avais le sentiment que son
regard resterait à jamais sur moi. Je fus enfin assez forte pour me
détourner de sa vision, qui m'avait chamboulée. Je pris la décision de
partir en direction de mon chemin d'origine. Il prit celle de ne pas me
suivre.
Je repensais aux fleurs. Certaines beautés sont éphémères sans qu'on ne puisse rien y faire.